HOCKEY JUNIOR

Adam rêve de hockey

Dans une ville minière où les relations entre Blancs et autochtones sont teintées de méfiance, une équipe de hockey tente de construire des ponts. Les Foreurs de Val-d’Or et leur actionnaire cri veulent faire une place aux hockeyeurs autochtones. À commencer par Adam Cheezo, 16 ans, qui rêve de Ligue nationale et de chasse à l’orignal. Récit.

VAL-D’OR — Le vendredi 5 juin dernier, Adam Cheezo s’est réveillé de bonne heure sur le bord de la baie James. Dans le village cri d’Eastmain, aux alentours de 9 h, il a pris place dans un pick-up avec sa famille. Quand il est arrivé à Sherbrooke, 16 heures plus tard, il était 1 h du matin.

C’était long. C’était interminable. Mais Adam, 16 ans, n’aurait manqué ça pour rien au monde.

C’est qu’à l’âge de 4 ans, Adam a fait un drôle de rêve. Il se voyait sur une glace, en train de jouer dans la Ligue nationale de hockey. Depuis ce jour, sur le bord de sa baie, sous le ciel du Nord, il ne pense qu’à ça.

Alors ce jour de juin, Adam s’est levé et a fait 16 heures de camion. Il s’en allait au repêchage de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ). Il croisait les doigts pour être choisi.

La saison dernière, Adam faisait partie d’une aventure ambitieuse. Les Forestiers d’Amos, dans la ligue midget AAA, avaient commencé l’année avec sept joueurs autochtones, du jamais-vu à un niveau aussi élevé. Des sept joueurs, Adam était celui avec la meilleure chance de poursuivre sa carrière dans le junior majeur. Il a terminé l’année avec 32 points en 40 matchs.

Le lendemain de sa longue journée sur la route, le samedi, Adam s’est habillé en complet. Avec sa famille, il s’est assis et a attendu qu’on dise son nom. Il n’a pas été déçu. Au troisième tour du repêchage, les Foreurs de Val-d’Or l’ont sélectionné.

Il est monté sur la scène, a enfilé le chandail vert. Il devenait le premier garçon de son village à être repêché dans la LHJMQ. C’était tout un exploit. Mais loin des terres cries, si profond au Sud chez les Blancs, l’exploit est passé inaperçu.

« J’espérais être choisi par Val-d’Or ou Rouyn, pour être plus proche de la maison, explique Adam. Eastmain, c’est loin d’Halifax ! Je voulais être proche de ma famille. »

Tout de suite après, Adam et les siens ont remonté dans le pick-up et ont conduit pendant 16 heures vers le nord. L’adolescent n’arrivait pas à y croire. Il était un Foreur.

LA « GRANDE FAMILLE DES FOREURS »

La sélection d’Adam Cheezo par les Foreurs n’est pas innocente. Elle s’inscrit dans un virage pris par l’équipe en faveur des joueurs autochtones.

À l’été 2012, l’équipe, alors propriété de la municipalité, a été mise en vente. Un groupe de neuf actionnaires locaux s’est mobilisé pour la racheter. Un dixième s’est joint à l’aventure : la communauté crie.

Dès lors, les Foreurs, qui avaient déjà un faible pour les joueurs autochtones, ont établi une politique claire à leur sujet. « Notre idée, c’est qu’on va faire un peu plus que leur donner une chance égale, explique le copropriétaire de l’équipe, Daniel Massé. On va inviter les joueurs autochtones au party, si vous me passez l’expression. On ne mettra jamais un joueur qui ne le mérite pas sur la glace. Mais on va les inviter à se prouver. »

Daniel Massé sait que les communautés autochtones regorgent de hockeyeurs de talent. Mais leur encadrement est souvent déficient. Dans leurs réserves éloignées, ils sont aussi mal évalués par les dépisteurs. Lequel se farcira 15 heures de route pour aller à Eastmain voir des espoirs ? Dans ces circonstances, il n’est pas surprenant que les joueurs autochtones soient sous-représentés dans le hockey d’élite.

« On connaît des jeunes autochtones qui ont un talent exceptionnel. Ils ne percent pas et ce n’est pas faute de talent. Il y a des raisons à ça. Nous, on considère que ces joueurs, qui sont dans notre cour, font partie de la grande famille des Foreurs. »

— Daniel Massé, copropriétaire des Foreurs de Val-d’Or

Val-d’Or a toujours été une plaque tournante pour les Cris et les Algonquins. Elle sert de « centre-ville » à une douzaine de communautés. Mais la cohabitation n’a jamais été facile, comme l’atteste le récent reportage d’Enquête, dans lequel des femmes autochtones affirment avoir été harcelées par des policiers de la Sûreté du Québec. Ces allégations n’ont pas été prouvées, mais elles ont érodé une relation déjà fragile.

« Les deux côtés sont méfiants, c’est vrai, explique l’homme d’affaires cri Henri Gull. Ils ne connaissent pas notre histoire, nous ne connaissons pas la leur. Mais c’est une relation qui évolue dans la bonne direction, je crois. »

M. Gull est président de la James Bay Eeyou Corporation, une société d’investissements fondée dans la foulée de la Convention de la Baie-James et qui est devenue actionnaire des Foreurs en 2012. L’homme d’affaires siège d’ailleurs au conseil d’administration de l’équipe de hockey.

« Je pense que le jour va venir où un Cri de nos villages va se rendre à la LNH et devenir un modèle pour les jeunes, comme l’est Carey Price aujourd’hui avec le Canadien, croit-il. Notre but est de donner la chance à nos jeunes, pour que leur exemple en encourage d’autres à suivre le droit chemin dans la vie. »

ELLE LUI A DONNÉ SON NOM

En revenant chez lui après le repêchage, Adam Cheezo s’est préparé pour la saison. Mais l’été a été difficile dans son village.

« On a perdu plusieurs anciens à Eastmain, dit le jeune hockeyeur. Là-bas, nous sommes 700, alors tout le monde est proche. Ils étaient comme des grands-parents pour moi. Ç’a été dur pour moi et ma famille. »

À l’automne, il a fait une croix sur la chasse. Il aurait aimé aller débusquer l’orignal avec son grand-père, comme quand il était petit. Mais depuis deux ans, le hockey lui a confisqué ce plaisir.

À Val-d’Or, l’entraîneur Mario Durocher lui a fait une place dans l’alignement. Rien de spectaculaire : le centre du quatrième trio. Mais pour un joueur de 16 ans, c’était une preuve de confiance.

« Offensivement, c’est un talent extraordinaire. Ça va être un joueur offensif qui va produire avec les Foreurs de Val-d’Or. Il a des mains et c’est un excellent passeur. Tout son côté offensif est développé hors du commun. »

— Mario Durocher, entraîneur-chef des Foreurs de Val-d’Or

« Ma blonde est micmaque. Je comprends d’où Adam vient, continue Durocher. Je comprends aussi où le hockey pourrait l’amener, pas simplement en tant que joueur, mais en tant qu’être humain, en tant que modèle pour sa communauté. Il doit réussir sur la glace, oui, mais il doit aussi réussir sur les bancs d’école. On essaye de lui faire comprendre tout ça. »

À Amos l’année dernière, Adam logeait chez une Algonquine du village de Pikogan. Cette année à Val-d’Or, il habite chez une infirmière qui a travaillé 15 ans à Eastmain… et qui lui a donné son prénom.

« J’ai suivi sa mère durant sa grossesse, raconte Linda Leduc, 49 ans. Il y a une tradition crie qui veut que quiconque peut nommer votre enfant quand vous êtes enceinte. Alors j’ai demandé à Charlotte, sa mère, si je pouvais nommer son bébé. Elle a accepté. Je vois Adam grandir depuis qu’il est né. »

À côté, dans le salon de la maison de Val-d’Or, Adam sourit et lance : « Je déteste mon prénom ! »

L’adolescent est maintenant une petite célébrité parmi les Cris du Québec. Le jour de notre passage, une jeune fille lui avait écrit sur Facebook. « Mais je ne la connais même pas », se surprenait-il. Les jeunes Cris qui se rendent aussi loin dans le hockey sont rares. « Il doit garder les pieds sur terre », prévient Linda.

Presque à tous les matchs à Val-d’Or, des membres de sa famille font 10 heures de route pour le voir jouer. 

« Je reçois des textos avant les matchs. Ils disent : “Je descends, tu es mieux de marquer !” Mais je n’ai pas encore marqué cette année... »

— Adam Cheezo

L’année dernière à Amos, dans le midget AAA, c’était compliqué. C’était sa première année dans le monde des Blancs. À un moment durant le camp avec les Forestiers, ses entraîneurs l’avaient retrouvé caché dans son sac de couchage, une Bible à la main.

Mais cette année à Val-d’Or, les choses vont mieux. Dans le vestiaire, il a commencé à se dégêner et à parler à ses coéquipiers, qui ne connaissent rien du monde duquel il vient. Il se dit que les choses vont bien finir par s’arranger, même s’il s’ennuie encore d’Eastmain.

Il n’a jamais vécu aussi loin de sa baie et du ciel du Nord. Mais il se répète chaque jour que ses sacrifices valent la peine ; qu’il n’a jamais été aussi proche de réaliser le rêve qu’il a fait à l’âge de 4 ans.

La chasse peut bien attendre encore un peu.

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